#Regarde-Moi

The End Of The World
Le soleil se couche, je me réveille. Cela fait des semaines que je n’ai plus vu la lumière du jour. Je me lève quand la nuit commence à tomber. Je suis devenue un petit papillon de nuit, un petit papillon noir. J’attrape au passage un verre et ma bouteille. Le Chardonnay est bien frais. Il glisse tout seul. Je bois toujours le premier verre d’une traite. Il monte plus rapidement. Je sens le liquide s’infiltrer dans mes veines, dans mon sang. Je me sens mieux. Je bois vraiment tous les jours à présent. Ce rythme dure depuis plusieurs semaines. Je n’ai pas envie de réfléchir et l’alcool me permet d’oublier l’instant un court moment. Je ne m’habille plus, ne me coiffe plus, je mange très peu. Je bois. Ça me suffit. Je me tue à petite dose, peut-être par lâcheté. Je n’ose peut-être pas vraiment mourir. C’est idiot, je ne vis pas
Je suis déjà morte.
Cela fait des années d’ailleurs, je crois…
Je ne me rappelle plus très bien…
Ma petite Bulle a éclaté, il y a déjà plus d’un an maintenant. Le jour de son anniversaire, le jour de sa naissance, le jour de sa mort, je suis allée dans le petit-bois à côté de chez nous, avec une dose de coke et une bouteille de Rhum. Et là, au beau milieu de la nuit, j’ai décidé de monter en haut d’un arbre. Je me suis ensuite élancé dans le vide. Je pensais prendre mon dernier envol. Je ne suis pas morte. J’ai juste eu la jambe cassée. Jérémy m’a cherché partout. Il m’a retrouvé au petit matin et m’a conduit à l’hôpital. Je suis restée en observation 2 semaines. Et un mardi, je suis ressortie avec une jolie petite ordonnance pour une drogue supplémentaire et un rendez-vous toutes les deux semaines chez un psychiatre austère.
Et la vie a repris son cours inexorablement.
Jérémy ne me parle plus depuis des semaines déjà. On ne se dit rien. Pas un mot. Il rentre, se douche, prépare à manger et regarde la télé. Ensuite, il va se coucher sans un regard. Sans un mot. Au début, il essayait de me rejoindre. Mais à force de prendre des gifles et des insultes par l’ivrogne que je suis, il a arrêté. Et je préfère. C’est plus calme. Je me sens plus libre. Je peux boire en paix et pleurer tranquillement. Je dors et vis dans la chambre de Louise. J’y ai installé un matelas. Je suis bien là. Je peux entretenir ma souffrance.
Je peux mourir à petite gorgée…
Un jour, un matin, Jérémy me parle enfin. Il me quitte. Il mérite mieux. Voilà ces derniers mots. Il me regarde tristement, fixe ensuite les bouteilles vides de mon vin de prédilection et s’en va. Comme ça. Sans bruit. Sans cris. Sans injure, fureur ou grande discussion. Je préfère. Il a raison. Il mérite mieux. Je reste donc là, seule. Je ne réalise pas vraiment. Et puis ça m’est égal. Ça ne fera pas revenir ma fille. Alors je me dirige vers le placard. Attrape une bouteille de Villageoise qui traîne. Je la bois en quelques gorgées. Juste au goulot. Pas besoin de verre pour celle-là. Elle ne mérite pas de salir de la vaisselle. Puis, je sombre, ivre morte. Allongée à même le sol de ma cuisine.
Le cercle infernal continue.
Tout s’intensifie.
Telle une danse macabre, je valse dans ma turpitude.
Je bois. Je ris aux éclats.
Du GHB. Ma sexualité est exacerbée.
Chasse le Dragon. Je suis une guerrière pacifique.
Un buvard d’LSD. Je vis un conte de fées.
Une bouffée de pipe. L’euphorie est à son comble.
Une taffe de joint. Je plane dans les décombres.
Un peu de MD. Je suis utopique.
Une ligne de coke. Je rallume la flamme.
La mort dans l’âme.
Je vomis et recommence…
J’invite des hommes rencontrés sur la toile à venir se vider chez moi. Se déverser en moi. Parfois, je me rappelle. Souvent, je me réveille sans le moindre souvenir. Je les flanque alors dehors rapidement. Retourne ensuite m’effondrer dans la chambre de conte de fée. Celle où j’avais imaginé ma petite princesse resplendir et devenir.
Elle ne ressemble plus qu’à un dépotoir.
Elle est triste.
Vide.
Sale.
Dérangée.
Comme moi…
J’attends. Je veux oublier. Mais ça n’arrive pas.
Peut-on oublier la mort de son enfant ?
Une enfant qui n’a jamais existé.
Qui n’a jamais vécu.
Elle n’existe pour personne.
Elle porte juste un nom.
Louise.
Qui se souvient ?
Se souvenir de rien…
Car elle n’était rien encore. Tout pour moi. Mais rien pour personne.
Qui comprend ?
Il n’y a qu’un anniversaire à fêter.
Celui de sa mort…
Le monde se lasse facilement des tourments d’autrui.
Les gens se lassent des morts qu’ils ne connaissent pas…
Se lassent des douleurs d’une fille en mal de vivre.
Plus personne ne me voit.
Je suis seule.
Je ne suis plus qu’un déchet.
Celui que la société n’a pas envie de voir.
Alors je me cache, pour ne pas faire honte à ceux qui jadis me connaissaient.
L’année passe comme ça. Puis nous y voilà à nouveau. Nous sommes le 10 décembre. Chaque année, cette date reviendra. Je ne veux plus en vivre une seul de plus. Alors j’attrape une tondeuse, me rase la tête. Je ne ressemble à rien. J’aime cette sensation. Je m’observe. Je me trouve moche et parfaite ! Je m’enfile deux bouteilles de champagne pour fêter ça. Les bulles donnent des airs de fête. Je me dirige ensuite vers la salle de bain. J’ouvre l’eau de la baignoire, ajoute de la mousse et des bougies. Cherche un cutter dans le bureau. Entaille avec douceur ma peau, les veines de mes poignets. Le sang jaillit instantanément. Il est chaud et doux. Je souris de plaisir. Je n’ai pas mal. Je me sens bien. Prise d’une euphorie soudaine, en admiration devant mon propre sang, je ferme les yeux et savoure cet instant magique.
Je ne ressens plus rien.
Je sens juste que je me vide.
Je me sens partir.
Je souris.
Je prends alors un dernier verre, me glisse tout habillée dans ce lit humide et délicieux. J’écoute en boucle The end of the world de Skeeter Davis.
Quel moment merveilleux.
Intense.
Sombre.
Macabre.
Beau et sale à la fois.
Je suis bien.
La vie se vide dans cette baignoire.
L’eau m’enlace.
Je m’endors.
Je me sens heureuse.
J’oublie.
Enfin…

NiNiE
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