Chapitre 10 : Retour au monde

#Regarde-Moi

Retour au monde

Les mésanges gazouillent dans le ciel, c’est le printemps. J’observe par la fenêtre leur danse. Les semaines se ressemblent. Mon cœur, mon âme, c’est apaisé. Disons que je me suis habitué à ma monotonie…

Mes masques sont toujours là, mais je souris pour donner le change.
Je ris même parfois.

Dans l’unité, il y a un infirmier avec qui nous avons créé un lien particulier. Il m’offre toujours une clope lorsqu’il me voit. Nous discutons beaucoup. Il devient un confident. Il rythme mes journées. Ferme les yeux sur ma folie.
Je dois lui plaire.
Je sais lire le désir dans le regard masculin. J’ai appris à déceler la petite étincelle qui luit dans les cœurs. Il est beau, mais il est un homme. Je n’aime pas les hommes.
Ils me fatiguent.
M’épuisent.
Je suis fermée.
Mon cœur est devenu une pierre.
Rien ne m’atteint.
La vie me semble fade.
Comme un radeau porté sur un courant d’eau, je suis à la dérive…

Ana m’aide à tenir, à compter les jours. Elle m’habite et devient mon quotidien. Je gagne en aisance et j’arrive aujourd’hui à ne plus ressentir la faim. Je suis devenue très douée pour cacher mon manque d’alimentation.
Cette sensation de contrôle me procure du plaisir…
Un plaisir dans la souffrance.
Briser mon corps que je hais tant…

Les mois défilent, les saisons s’alternent…
La vie est comme suspendue.

Mon papa n’est toujours pas venu me voir. Il me manque.
PAPA !
Pourquoi me détestes-tu ?
Regarde-moi !

J’ai besoin de toi. J’ai besoin d’être à nouveau ta princesse. Je veux voir dans ton regard à nouveau ton amour. Je ne comprends pas. Je ne suis qu’une petite fille en mal de vivre. Une petite fille qui a grandi. Une petite fille morte un soir d’été. Une petite fille qui survit dans un monde malfaisant. Papa, j’ai besoin que tu viennes me sauver. Toi, mon super-héros de toujours. Je t’aime tellement. Je me souviens de tes sourires en me regardant. De tes tartines le matin préparé avec amour.
Je me souviens de toi.
Plus je repasse en boucle mes souvenirs et plus le désespoir se creuse en mon âme. Lorsque je repense aux déceptions que j’ai dû provoquer en toi.
Mais moi, papa, j’existe aussi.
Papa, revient. J’ai tellement besoin de toi. Redevenir cette petite fille que tu serais dans tes bras. Te rendre fière encore une fois.
Papa.
Regarde-moi !

Lors d’une séance avec ma mère, j’explose enfin et je déverse ma haine.
Pourquoi papa est-il parti ? Pourquoi elle l’a fait fuir ? Où est-il ?
Alors sa langue se délie et l’horreur continue.
La vérité fait mal. Elle fait frémir. Elle fait vomir. Elle me blesse. Elle me tue. J’en reste alors hébétée. Je ne l’entends plus. Le choc est violent. Je me vois au-dessus de mon corps. Tout ça ne peut pas être réel. J’ai envie de me réveiller.
Mon papa n’est pas mon père.
Ces mots résonnent. Il me transporte dans l’immonde puanteur de cette soirée d’été. Cet homme aimait ses filles. Et il en a eu deux.
Elle et moi.
Voilà pourquoi il est venu me retrouver. Car il savait la vérité.
Il aimait ses filles.
J’étais sa fille. Ma fossette au menton me trahissait.
Mon papa l’a compris lorsqu’on lui a expliqué que les fossettes sont héréditaires. Personne n’a de fossette dans ma famille. Sauf moi. Il a alors fait des recherches et a extirpé des lèvres de ma mère les mots qui font mal. Il est alors parti et n’a plus donné de nouvelle.

Mon papa n’est pas mon père.
Je ne suis pas sa fille.
Je suis la fille d’un monstre.
Depuis le début, j’étais le fruit de l’ignominie.
J’étais donc prédestinée à une vie ou rien n’a de sens.
Lorsqu’on est la fille d’un porc que peut-on espérer?

Je paie l’erreur de ma mère. Je la hais. Je veux la voir morte. Je ne peux plus la regarder.
Elle me dégoûte.
Je sors donc de cette salle en courant. J’ai besoin d’air. J’ai besoin de souffrance pour pouvoir me sentir en vie. Je vais au WC, m’accroupis devant la cuvette. Prends mes deux doigts que j’enfonce tout au fond de ma gorge. Et essaie de vomir le peu qu’il y a en moi.
Je vomis de la bile.
Ça me brûle.
Ça me fait du bien.
Je recommence frénétiquement jusqu’à en être épuisée. Et là, je pleure. Ma douleur m’empêche de respirer. Je n’arrive plus. Tout est flou. Tout n’est que mensonge. Rien n’est réel. Je suis un mensonge. Je suis une bâtarde. Je ne suis pas la fille de mon papa. Je me dirige alors vers ma chambre, me déshabille, et devant mon miroir, je commence à frapper celle que je suis. Je tape le plus fort que je peux. Je veux anéantir celle que je suis. Je ne veux plus me voir. Je ne veux plus ressentir ce trou dans ma poitrine.
Alors je cogne.
Je cogne.
Je cogne.
Je hurle à la mort.
Mon infirmier rentre dans la chambre, m’attrape vigoureusement. Me plaque contre le mur et me bloque. Il essaie tant bien que mal de me calmer. La patience est une vertu qui fait partie de ces qualités. Je respire enfin un peu dans ses bras…
Je l’embrasse alors. Il ne dit pas non. Il m’embrasse en retour. Nous couchons donc ensemble ce jour-là.

La fin de l’été approche…
Je reste dans cette unité 9 mois. Je ne sors pas vraiment guérie. Mais ils estiment que je ne suis pas un danger pour les autres. Que je suis capable de me contrôler. Je sais faire semblant, je suis une bonne actrice. J’ai appris. Je n’ai plus fait de vague. J’ai bouffé toute leur saloperie. Ingurgité leur thérapie jusqu’à m’en faire vomir. Coucher avec mon infirmier plusieurs fois en secret. Je peux donc regagner la vie normale.

Je suis une folle en liberté. Je suis libre d’exprimer ma folie au côté de tous ces gens normaux. J’observe le monde. Je me demande toujours sur quoi ils se basent pour traiter les troubles mentaux. N’est ce pas fou de vouloir continuer de vivre dans un monde aussi infâme que le nôtre ? Comment déterminons-nous la folie ? Sur quelle échelle ? Je suis malheureuse alors je ne suis pas normale ? NON. Je montre que je suis malheureuse et c’est ça qui est anormal. Qui est heureux ? Nous portons tous des masques. Moi, j’avais enlevé le mien lorsque la lame a glissé sur mon poignet. Et j’ai été jugé folle. Alors j’ai compris. Je suis allée rechercher au fond de mon âme ce masque. Celui qui me permettait de tenir. Je souris à nouveau. On ne se méfie pas des gens qui sourient.
Moi, je suis une actrice.
Je sais sourire sur commande.
J’ai appris.
Mon cœur saigne.
Plus j’ai mal. Plus je souris.
Plus j’ai mal. Plus je ris.
Je semble aller bien. C’est suffisant.
Voilà tout.
Rien n’est réglé.

J’ai repris ma routine et je bois à nouveau. Un peu moins… je fais attention. Mais l’alcool reste mon meilleur allié. Un verre de Chardonnay, voilà ce que fût la première chose que j’ai faite en sortant de mon unité. Ma lame sur mon ventre fût la deuxième.
La vie avait repris son cours…

Ma vie est une ruine. Je ne suis ni une femme. Ni une maman. Ni même une fille. Je ne suis même plus une pute. Personne ne m’aime. Je n’aime personne. Je ne suis que détritus. Je suis comme un pays après la guerre. Tout est détruit. Je ne désire rien. Je n’attends rien. Je ne veux rien construire. Je ne souhaite rien vivre. J’attends encore. J’ai appris à attendre. Occuper l’ennuie d’une vie terne, morne et sans le moindre sens.

Que dire de plus ?
Qu’attendre de plus ?

La mort me va si bien mais l’abattement est prépondérant…

NiNiE

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :