#Regarde-Moi

Borderline ou être une personne limite
L’hiver s’achève.
Voilà plusieurs semaines que l’on m’a extirpée de mon lit de mort. Je ne me rappelle plus de rien. Je me souviens m’être endormie. Je me suis réveillée plusieurs jours après à l’hôpital. Ma mère m’avait retrouvée dans une baignoire de sang. Je ne voulais pas qu’on me retrouve. J’ai oublié de fermer la porte de chez moi. Elle voulait m’annoncer que papa l’avait quittée ce jour-là. Je ne voulais pas qu’elle me trouve. Je ne sais toujours pas pourquoi papa l’a quittée. Il devait en avoir marre de ses escapades et de sa folie.
Je suis folle moi aussi…
Il n’est jamais venu me voir. Il me manque.
Je ne suis plus sa princesse.
Je ne suis plus que cette fille déboussolée qui lui fait honte.
Je le sais…
Mais, grâce ou à cause d’elle, j’ai pu être sauvé in extremis. Je ne sais toujours pas si je dois la remercier ou la haïr. L’avenir me le dira. Pour l’instant, je récupère…
J’ai été hospitalisée dans une unité psychiatrique. Mes cheveux repoussent doucement… Je ne suis pas plus en vie qu’autrefois, mais apparemment, je suis malade.
Malade du cœur. De la tête. De l’âme.
Malade de vivre…
La vie me donne la nausée. J’y suis peut-être allergique. Pas d’antihistaminique pour soigner ça, mais plusieurs cachets censés me rendre le sourire et apaiser mon intérieur…
De la drogue légale en soi.
Franchement, je préfère l’héroïne, au moins, j’avais un orgasme émotionnel à chaque prise… Tout n’était rien. Et rien n’avait d’importance. Quelle sensation !
L’alcool me manque aussi. J’y pense souvent.
J’imagine le Chardonnay couler en moi et cette euphorie après… La vie sans alcool, sans drogue est beaucoup plus terne.
Fade.
Vide.
Sans aucun intérêt.
Je ne suis pas jugée comme étant alcoolique ou droguée. Je n’ai aucun manque physique malgré les litres ingurgités. Malgré toutes ces substances qui ont coulé dans mes jolies veines. Je dois avoir un corps qui aime garder le contrôle finalement…
La psychiatre du service « crise » est une imbécile. Elle ne m’inspire que du mépris. Je suis dans l’obligation de la rencontrer. Alors je passe 40 minutes à regarder mes ongles. Je n’ai rien à dire. Parler de mes souffrances, c’est les revivre. Elles sont trop enfouies en moi. Je ne dirai pas un mot. Je n’ai pas envie. Je suis butée, bornée et têtue. Et puis son air pédant m’horripile. Ses diagnostiques m’insupportant. Tout est diagnostiqué. Il faut absolument poser une étiquette sur chaque émotion. Chaque trouble. Chaque douleur. Trouver des mots savants pour désigner un mal de vivre. Trouver la bonne médication qui permettra de changer celle que je suis.
Je n’ai pas envie de changer.
J’aime ma mélancolie.
Elle me tient compagnie depuis si longtemps. N’ai-je pas le droit d’avoir envie de mourir. Suis-je anormale car vivre me lasse ? Car vivre m’angoisse…
Je m’interroge, pourquoi la mort fait-elle si peur qu’on veuille absolument l’empêcher d’arriver.
La mort n’est rien.
Elle est notre plus grande certitude.
Elle est inéluctable.
Et puis si j’ai envie de décider moi-même de l’heure de ma fin ?
Est-ce un mal ?
N’ai-je pas le droit de choisir ?
Ma vie, mon choix.
Être, pour une fois, maîtresse de mon destin.
La plupart des personnes pensent que le suicide est un choix égoïste…
Nous laissons dernière nous nos proches dans l’incompréhension. Nous ne pensons qu’à notre envie de mort. Nous sommes déboussolés…
Mais en y songeant sérieusement : la mort n’est pas personnelle ?
Elle laisse toujours dans le désarroi ceux qui sont obligés de rester. De plus, n’est-il pas plus égoïste de faire subir notre chaos intérieur aux autres ?
La mort est pour moi une libération.
Une chance.
Un espoir.
Un rêve.
Un but qui a été fixé dès mon premier cri…
Dès ma naissance.
La mort donne à la vie son essence.
Son importance.
Il me semble donc inutile de faire d’un drame, une chose si logique et si inexorable…
Les semaines passent. La vie semble s’être arrêtée ici. Il n’y a pas d’extérieur. Notre lucarne sur le monde se prénomme télévision. Nous y voyons les gens « normaux » gerber leur bêtise. Est-ce ça qui devrait nous donner envie ? Accepter de se gaver de débilité. Rire aux éclats sur Hanoukka, présentatrice stérile payée pour abrutir les nations de futilité…
Pathétique…
Ce monde m’oppresse et je devrais vouloir y résider ?
Je préfère ma folie.
Je préfère ma mélancolie…
Les clopes se consument, les unes après les autres. Comme les heures et les minutes.
Je suis entre 4 murs protégée du monde. Où est-ce le monde qui se protège de moi ? Les gens n’aiment pas côtoyer ceux qu’ils ne comprennent pas…
Je suis déraisons, je fais peur. Je n’ai pas peur des mots. Je n’ai pas honte de montrer ma souffrance. Je suis souffrance… Je montre la noirceur. Je suis noire. Je suis torpeur. Je suis abysse. Je suis ce gouffre qui vous fait peur. Moi, je l’accepte. Il m’obsède. Je l’accueille. Je l’aime. Dois-je alors me cacher ? Pour ne pas vous renvoyer en pleine gueule la puanteur de la vie. Elle est sale, sombre et triste. Je n’en veux pas. Je ne supporte plus de faire semblant. De sourire. D’être. Je veux vivre libre ma mort, ma destruction. Laissez-moi…
Laissez-moi !
On nous explique, plusieurs fois par jour, que nous sommes ici pour nous faire aider. Il semblerait que nous soyons ici pour nous faire changer. Nous ne sommes pas ce que l’on attend de nous. Nous ne correspondons pas à leur norme. Nous entachons leur monde. Alors nous devons changer car nous sommes malades.
Mais moi, je ne veux pas changer !
Je ne serai pas autrement que celle que j’ai toujours été.
Authentique.
En mal de vivre.
Ma vie n’a jamais été comme il faut. Depuis le début de la fin déjà. Je ne suis que le produit de ce que l’on a fait de moi…
Un objet.
Je dois vous satisfaire, j’ai appris…
Une personne éveillée sur l’horreur depuis l’enfance.
Ce monde n’est pas le mien…
Alors je suis celle que vous avez créée.
Ce que ce monde a décidé.
Une poupée cassée.
Je ne changerai pas.
Je resterai moi.
Selon votre choix.
La psychiatrie est un terrain d’observation. Entre folles, on se comprend, on se toise, on se soutient, on se tire vers le bas, mais surtout, on se couvre. Je file mes médocs aux anorexiques, qui filent leurs repas aux boulimiques, qui me donnent leur médoc. La boucle se boucle parfaitement. Nous en avons toute pour nos envies. Nous créons des liens entre nous…
D’ailleurs, j’admire beaucoup les anorexiques, leur entêtement à ne rien avaler. Leur persévérance et leur manigance pour éviter qu’une miette ne franchisse leur bouche.
Elles sont intelligentes, vives, belles et leur tourment me rassure.
Ana est une amie qui semble fidèle. Je me dois d’essayer. Priver ce corps de nutriment, afin d’être libre de nourriture, être enfin jolie quelques kilos en moins…
J’oublierai peut-être l’envie de boire…
J’aurais peut-être envie de vivre…
Je pourrais peut-être mourir sans en avoir l’air…
Alors petit à petit, au fil des jours, des semaines, Ana prends place dans ma vie. Un nouveau but. Des objectifs quotidiens qui m’apportent une satisfaction intense lorsque le soir, je peux cocher une case de plus dans mon agenda. Respecter mes règles journalières. Je suis très organisée. J’ai appris aussi quelques trucs pour perdre quelques calories, pour que ce soit plus facile de tenir l’estomac vide. Pour vomir rapidement si nous sommes obligés de manger. Les gens ne comprennent pas la rigueur qu’Ana nous demande. Mais ça nous rend meilleurs, plus fortes, plus courageuses. Le soir, lorsque j’arrive à m’endormir l’estomac vide. Alors que je sens qu’il crie famine, l’euphorie est à son comble. J’ai gagné ! Mon corps ne décidera pas.
Je maigrirai envers et contre tout !
Je suis maître et je garderai le contrôle.
Voilà ce que j’apprends. À garder le contrôle sur mon corps, ma vie, moi.
Ana m’apprend à me sacrifier pour devenir invincible…
Je suis jugé borderline. Voilà le diagnostique. Le sens de cette maladie ? Je ne la comprends pas. Je suis sur la limite. La limite de quoi ? De la folie ? De la raison ? Personne ne me dit rien. On me donne juste des médocs 2 fois par jour. Deux séances de psychothérapie par semaine. Douze séances d’ergothérapie par mois. Une visite de ma mère toutes les trois semaines. Elle ne fait que pleurer. Sans comprendre sa responsabilité. Je ne l’écoute plus. Elle m’exaspère…
Le reste du temps, je regarde la télé. Je fume des clopes à faire noircir mes poumons plus vite que de raison. Je m’ennuie, je crois. C’est peut-être ça vivre. Accepter son ennui sans jamais mourir. Juste faire défiler les jours. Comme un bagnard cocher une croix de plus. Je reste donc persuadée que la liberté de cette vie est la mort. Mais je pense moins à mourir. Je suis trop fatiguée. Je crois. Même pour ça. Et puis je ne suis plus personne. Pour avoir envie de mourir peut-être faut il encore être un peu en vie aussi…
Je ne vis pas.
Je ne meurs pas.
J’existe.
C’est tout.
Pas de but, sauf Ana.
Plus de sens, sauf Ana.
Attendre.
Laisser passer le temps.
Ne pas manger.
Apprendre à garder le contrôle.
Attendre…
Quoi ?
Je ne sais pas…
Je ne sais plus…

NiNiE
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